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Contexte

Les forêts de laminaires sont un des écosystèmes sous-marins les plus emblématiques du littoral breton, tant pour leur valeur écologique, économique et culturelle. Les laminaires (telles que Laminaria hyperborea ou L. digitata) sont des algues brunes qui forment une « canopée » pouvant atteindre plus de 3 mètres de hauteur quand les conditions sont favorables. Elles jouent un rôle clef en zone littorale en constituant un habitat privilégié pour un cortège d’espèces d’algues épiphytes, de méiofaune et de macrofaune, qui sont des ressources importantes pour les pêcheries locales et régionales et en étant elle-même exploitée depuis plusieurs siècles (filière goémonière bretonne). Les laminaires représentent également une source de matière organique majeure pour les réseaux trophiques associés et d’autres écosystèmes connectés, notamment sous sa forme détritique libérée au gré des processus d’érosion de leurs frondes et de dégradation suite à leur arrachage du substrat après les fortes houles.

Au niveau mondial, les forêts de laminaires sont fragilisées par des épisodes de dénudation à large échelle du fait d’une conjonction de facteurs physico-chimiques (anomalie de température/salinité, tempêtes), biotiques (invasions biologiques, broutage par les herbivores, virus) et de pressions liées aux activités anthropiques (exploitation goémonière et pêcheries, aménagement du littoral, sédimentation, enrichissement en nutriment) . Les disparitions massives de laminaires s’accompagnent souvent de dérèglements dans la dynamique trophique de pouvant avoir des effets en cascade sur toute la communauté . Les forêts de laminaires ont fait l’objet de nombreuses études sur leur niveau de production primaire , leurs caractéristiques génétiques et les communautés associées. Cependant, on manque encore de connaissances précises sur leur structure et le fonctionnement trophique. Ces travaux sont nécessaires pour réaliser des prédictions fiables sur la réponse de ces écosystèmes complexes face aux perturbations naturelles et anthropiques. Il s’agit d’acquérir des connaissances permettant de renforcer la conservation de cette ressource, de la biodiversité associée et des services écosystémiques qu’ils fournissent.

Pour comprendre les liens entre biodiversité et fonctionnement des écosystèmes et en particulier les processus de « compensation biotique » qui favorisent leur résilience et stabilité à long terme , il est essentiel de connaitre les réseaux d’interactions qui relient les espèces au sein des communautés. Cela requiert de solides connaissances sur l’écologie trophique des espèces associées aux laminaires. Les approches utilisées traditionnellement pour déterminer les préférences alimentaires (observation comportementale, analyse de pièces buccales ou analyse micro-histologique des contenus digestifs) sont difficiles à mettre en œuvre in situ notamment en milieu marin et sont souvent peu précises . De plus, elles nécessitent des compétences importantes en anatomie et/ou taxonomique qui ne sont pas applicables pour un certain nombre de groupes trophiques comme les suspensivores ou les détritivores dont le rôle est aussi très important pour l’ensemble des réseaux.

Le traçage trophique par analyse des isotopes stables permet de s’affranchir d’une partie de ses limitations en déterminant le degré d’assimilation des sources potentielles au sein de communautés complexes. La présence de co-variations entre les signatures isotopiques des macro-algues, du phytoplancton et des consommateurs primaires, semble conforter l’hypothèse que les laminaires seraient bien consommées par certains brouteurs et surtout constitueraient la majorité du régime alimentaire des suspensivores et des déposivores, à la base du réseau. Cependant, le lien trophique reliant laminaires aux supsensivores et déposivores demeure incertain car il est difficile de distinguer avec précision les signatures isotopiques des différentes sources (e.g. phytoplancton dans un pool de matière organique contenant des détritus de laminaires). De plus, cette approche requiert parfois des regroupements d’espèces dans l’espace isotopique qui ne reflètent pas leurs fonctions. Plus problématique encore, l’approche isotopique ne peut, à elle seule, renseigner sur les liens existants entre espèces de niveaux trophiques supérieurs dans un système aussi diversifié que les forêts de laminaires. Ainsi, il existe un vrai manque de données sur les consommateurs secondaires (poissons, macro invertébrés) qui interviennent dans la régulation des populations d’herbivores. Ces connaissances sont essentielles pour comprendre la stabilité et les potentiels effets en cascades d’un réseau trophique.